dimanche 25 mars 2012

Donnez-nous des procès!

Dis-le avec ta main, la droite, la moite, celle que tu poseras devant sur à côté en jurant  la vérité ou en croisant les doigts de l'autre - la main -  planquée derrière ton dos la gauche la main qui agit derrière - qui agite les fantômes de l'acte. Donnez-nous des procès! Ton corps encerclé qui respires dans - ta cage thoracique et les mouvements de ta langue dans l'oreille, notre oreille - Nous - qui? Nous - qui? Donnez-nous des procès ! Des têtes des visages décevants où la marque n'est pas visible - Donnez-nous des procès ! De la normalité détenue dans le monstrueux - du corps de la chair du sang qui coule dans les veines des paupières qui se ferment toutes les secondes - des mécanismes anatomiques qui fonctionnent comme le mien - Donnez-nous des procès ! Du vivant à trancher du discours - il faut se présenter. Ton corps criblé par les balles de tes propres mots - ceux que l'on ne parviendra pas à formuler - ceux que tous nous essaierons de prononcer pour toi -  nous te voulons criblé mais de tes propres mots - les trous les impacts que la langue creuse  dans nos chairs - pour reconnaître en toi notre folie passagère - désenvoûter les couloirs hantés de notre conscience - ton corps criblé de tes actes et de nos conséquences - nous ne porterons pas en plus ton deuil - nous ne fleurirons pas la tombe du monstre - le monstre à un visage - et je m'y reconnais. Donnez-nous des procès! Que chacun se présente la chair et les os devant au premier rang dans leur présence de chair et d'os en mouvement -  que ta finitude n'appartienne qu'à ta chair - qu'on fabrique des vivants - dressons l'acte sur ses pieds - notre terrorisme c’est celui du vivant du corps criblé de mots - de la chair et de la ressemblance - Donnez-nous des procès! Le droit de regarder  - dans les yeux - dans le corps - dans le mouvement de la bouche l'intérieur la cave et la cage thoracique carcérale - le temps de - laisser infuser - Donnez-nous des procès! Histoire de faire histoire - histoire de négocier - de désenvoûter - Donnez-nous des procès! De l'innommable de l'impasse de dire avec nos langues - reconnaissons l'impasse l'aveu de la raison - la société civile - crottons nos talons aux cendres de tes actes - Donnez-nous des procès! Du visible de l'indicible - reconnaissons le manque - les manques les carences reconnaissons la faim la famine qui se loge dans les cuisines des chefs l’abondance et le dégeuli – dégueulons n’ayons pas peur de vomir ça n’a jamais tué personne représentons la bête une raie de côté un polo de grande marque une vaine normalité  - donnez-nous des têtes attachées à leur corps debout sur leurs pieds le cycle de la digestion le sommeil permet-nous de dormir pendant que tu parles de faire des rêves l'inconscient à besoin de fonctionner - ne coupons pas le robinet Donnez-nous des procès! Notre terrorisme trancher dans le vivant coûte que coûte - n'ayons pas peur de tes mots qui ne sortiront pas qui auront les échos ou pas que ça résonne ou que ça ne résonne pas- il faut te démasquer sortir du train fantôme allumer la lumière découvrir le visage et la beauté peut-être encore irriguée par le sang qui coule mais ce sang ce sera celui de tes veines - malgré toi de ton humanité mécanique anatomique malgré toi une histoire de l'espèce commune - ne hiérarchisons pas les corps les monstres les visages - ton visage et tes mains tes ongles qui poussent ton corps que tu continues de nourrir parce que tu dois parler te présenter - tes nuits et le sommeil qui t'assaille - tu vas bien finir par dormir – nous t’obligerons à dormir à faire des rêves – tu dois nous alimenter – Donnez-nous des procès ! De l’image directe tu ne nous rendra pas superstitieux tu nous rendras humain – Donnez-nous des procès des visages des malentendus des fautes de français de la grammaire des accents de la tonicité des pour des contres des aberrations des récupérations des inventions pour combler – Donnez-nous des procès pour nous - te - nous – te - reconnaître.

samedi 17 mars 2012

Check Point Charlie



Dernière référence au "Hêtre et le Bouleau" de Camille de Toledo. Après je quitte, j'abandonne le livre, je ponctue ma lecture interminable et répétée sur cette archive de Rostropovitch jouant les Suites de Bach devant (j'allais écrire sous) le mur de Berlin en 1989.

mercredi 7 mars 2012

Tristesse européenne

La lecture de Camille de Toledo "Le Hêtre et le Bouleau" me poursuit depuis des semaines, un livre tombé entre mes mains par le pur hasard de rayonnage d'une bibliothèque alors que - errante - je cherchais des clés pour nourrir Point Limite Zéro. Je ne le quitte pas, comme une accroche qui me rappelle ce que je nomme, ma recherche du point de fuite, mon esquisse de la figure de l'héritier. Le livre retrace  l'histoire de l'Europe du 20ème siècle, par un si fin dosage, entre l'intime historique et son négatif collectif ou peut-être l'inverse, selon les pages, les chapitres, le fantôme de l'un étant l'œuf de la poule de l'autre. Le mendiant de l'un étant le maître de l'autre. On raconte la Constitution de l'Europe du 20ème siècle sur les cendres des crimes passés, comme un pacte du "plus jamais ça" qui nous fige dans la mémoire morbide des spectres du passé, ces cailloux fantômes coincés dans notre chaussure collective, qui empêchent la marche vers le deuil du 20ème siècle.

Tout cela ne fait que me parler des figures d'héritiers que je chercher à nommer,  ceux que je commence à faire émerger dans Point Limite Zero, qui prennent la route, parce que rouler ou marcher n'est peut-être que le seul moyen de sentir que ça avance...ces figures qui prennent la route pour Athènes, hantés par leurs fantômes, portant la lourde dette des ancêtres, visiteurs de cimetières qui ne trouvent pas la valeur du présent de leur propre vie.
Tout cela ne fait que m'évoquer la Grèce, comme une déshéritée de l'Europe, la Grèce, où j'ose croire que se logent les germes d'un horizon nouveau. 

J'ai pleuré à la lecture de cette phrase: 
"[...], Dans un temps où, bientôt, nous devrons écrire sans l'aide des voix des survivants, à partir du trou du 20ème siècle".

Mon corps a frémit depuis la place 82 de la voiture 8 sur le Paris-Nice de 16h49 à la lecture de ce passage: 
"Je pense à ce jour, ce matin, en sortant du cimetière, un autre cimetière plus intime, plus familial, où je venais de laisser le cercueil de ma mère, lorsqu'une amie de la famille, souriante, malicieuse, vint me voir pour me révéler le secret de sa longue expérience de la mort. Elle me dit: "Tu verras, dans quelques temps, ta maman sera là, avec toi. C'est comme mon mari. Pendant plusieurs mois, il n'était plus là. Je n'arrivais plus à l'entendre. Je ne parvenais plus à le voir. Et puis, c'est arrivé comme ça, un jour, je me suis mise à lui parler. J'étais dans les embouteillages, je ne trouvais pas de place pour me garer. Et je lui ai demandé de m'aider. Et sais-tu ce qu'il a fait? Il m'a aidée. Il m'a trouvé une place pour ma voiture!". En entendant cette histoire j'ai ri. Depuis, je ne cesse d'y penser. 

Tandis que je tente de trouver cette voie, cette échappée, tandis que j'essaie de voir comment nous pourrions, collectivement, imaginer une issue hors du socle mélancolique de l'Europe, je me souviens une fois encore de cette histoire, celle qui me fut racontée en sortant du cimetière où je venais d'enterrer ma mère. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions attendre de tous ceux dont nous portons la mort, ceux qui sont le gouffre de notre Constitution, qu'ils nous aident à trouver une place pour garer notre voiture...Notre voiture, c'est-à-dire notre véhicule, ce qui nous portera vers l'avenir. 

Voici ma question: comment pouvons-nous penser un passage de la "hantise" conflictuelle, paralysante, conservatrice du XXème siècle au "vertige" du XXI ème siècle (triple vertige qui est celui de l'identité fragmentée, des origines et des lignées artificielles ou bâtardes et de la perception dans la sédimentation des fictions du monde) sans verser dans la nostalgie? Et encore, comment les morts du génocide perpétré contre les juifs d'Europe, nos ancêtres, les morts des nationalismes, nos ancêtres, les morts des régimes communistes, nos ancêtres, les morts de l'esclavagisme, nos ancêtres, pourraient répondre à notre appel afin de libérer une place, devant nous, juste devant, pour que nous puissions imaginer un monde, une u-topie?